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Le mythe familial

Dernière mise à jour : 21 mars




Chaque famille est unique et constituée d’une mythologie familiale, fondatrice et organisatrice de règles et de croyances, reflétée par une image interne que chaque membre véhicule ayant valeur de reconnaissance dans le groupe familial et valeur identitaire dans l’espace du social. Le mythe a une fonction défensive de ce qui ne peut être dit, de l’insupportable d’un passé indicible.


Le concept de « mythe familial » a été défini par Ferreira, thérapeute américain de l’École de Palo Alto, en 1963, pour illustrer « les attitudes de pensée défensives du groupe familial, soucieux de préserver une "cohésion interne", et garantissant l’obtention d’un soutien mutuel à l’ensemble d’entre eux ». Le mythe se définit selon Ferreira tel « un ensemble de croyances organisées, partagées a priori par les membres de la famille et leur conférant des rôles spécifiques ». cf article « les mythes familiaux »

Le contenu du mythe (il peut y en avoir plusieurs) est véhiculé à l’intérieur du groupe par un système de règles et de croyances qui peut être évolutif d’une génération à l’autre à travers le récit qu’on en fait tout en gardant une trame de fond enracinée dans le temps. Le mythe en lui-même n’est pas perceptible de l’intérieur, sauf à travers les rituels (ce qui est mis en actes).


Dans son livre: « Rien ne s’oppose à la nuit », Delphine de Vigan, dans une écriture sincère et profonde qui touche au cœur de soi, fait apparaître de manière très singulière la mythologie familiale dans laquelle chacun des membres est empêtré à son insu. Bien que le roman soit organisé autour du personnage de Lucile, la mère, les grands-parents prennent une place dominante dans le modèle qu’ils incarnent : un monde de légendes, d’un certain anticonformisme tout en ayant des règles strictes de fonctionnement interne basées sur le déni : on ne parle pas de ce qui pourrait remettre en cause la responsabilité des parents dans les drames vécus par cette famille.


La famille se veut être une légende vivante : 9 enfants ; un grand-père à la verve féconde, une grand-mère toute en vitalité adhérant sans conteste aux propos et actions de son mari tout en lui imposant son désir d’une nombreuse progéniture. Un mythe d’une famille « parfaite » avant-gardiste, gaie, unie… Mais Delphine de Vigan cite : « derrière la mythologie, il y a l’immense fatigue de Liane, son incapacité à s’occuper de Justine après la disparition d’Antonin, une forme d’indistinction propre aux familles nombreuses, les liens d’allégeance, de rivalité, (...) il y a Milo dont on ne raconte pas grand-chose si ce n’est qu’il est comme l’eau qui dort, lisse et sans remous apparent, et Barthélémy qui se retrouve à l'hôpital psychiatrique pour un motif dont il n’est pas très sûr aujourd’hui. (...) »

Le mythe est fédérateur du groupe familial et à ce titre véhicule des croyances qui deviennent convictions et entretiennent le lien entre les membres.


Dans son roman, Delphine de Vigan cherche à comprendre la souffrance de sa mère qui se suicide à 61 ans, ainsi que ses propres anxiétés vis-à-vis de ses enfants qu’elle suppose être en lien avec l’histoire familiale. Le moteur du mythe familial est sous-tendu par le déni qui entoure l’attitude incestueuse du grand-père, et son emprise sur le territoire familial. Parce que l’un des aspects du mythe est constitué autour de l’apparence, de la beauté des enfants, une des croyances qui en découle est qu’il faut sauver la face, passer outre les souffrances vécues, faire bonne figure.


Un autre aspect du mythe tient dans « nous sommes une famille différente des autres, à contre-courant et nous représentons une réussite ». Dans cette famille où tout a été construit pour valoriser l’image d’un bonheur familial idéal, il n’est pas possible de dire sa souffrance, son mal-être qui pourrait entacher le mythe et menacerait la cohésion familiale. Il ne faut pas grandir, accéder à l’autonomie, échapper à l’emprise du grand-père. Il n’y a pas d’autre choix que de gommer la souffrance, d’endurer la honte et la culpabilité en silence, éventuellement d’avoir certains comportements « déplaisants » (qui évitent la parole confrontante) ou en arriver à la seule issue de secours : mettre fin à ses jours.


Dans cette famille, toute rébellion est condamnable, la violence ne peut qu’être retournée contre soi. Delphine de Vigan parle à plusieurs reprises de ses hésitations à poursuivre l’écriture, à fouiller dans les décombres de l’histoire familiale, d’interroger les membres survivants par crainte de trahir le mythe.

Elle dit un peu plus loin : « Je suis le produit de ce mythe et d’une certaine manière, il me revient de l’entretenir, de le perpétuer afin que vive ma famille et se prolonge la fantaisie un peu absurde et désespérée qui est la nôtre. (...) à la vision de ce reportage, à les voir tous si beaux, si bien dotés (...) me sont revenus ces mots : quel gâchis ».


À partir de ce commentaire très restreint de toute la richesse que contient ce livre sur les méandres psychiques d’une famille en apparence « parfaite », j’ai cherché à rendre compte de ce que le mythe familial représente et ce qu’il crée de représentations intérieures pour chaque membre.

La période de Noël est propice à l’émergence du mythe dans ce qu’il montre des rituels de la fête, dans ce qui se dit, se tait, comment chacun se place, dans qui est présent ou absent, y compris ce qu’on y mange et comment la fête s’organise.


Le milieu culturel participe à la formation du mythe. C’est le cas dans certaines familles où « on ne touche pas aux mythes » et où l’érosion des pulsions de vie a, un jour ou l’autre, gain de cause. Dans la mesure où le mythe a valeur de conviction partagée, sa remise en question peut être vécue comme une attaque de la cohésion du groupe familial. Tacitement, les règles de soumission au mythe sont transmises, et gare à qui oserait les enfreindre.

 

@tousdroits réservésMaureenBoigen

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