Serge Tisseron, psychanalyste, a défini les effets pathologiques du secret comme suit : Pour qu'il y ait secret dans une famille, il y a 3 conditions :
que quelque chose ne soit pas dit
qu'il soit interdit de le connaître
que ce soit quelque chose de douloureux pour les parents.
Ces conditions réunies vont faire que l'enfant qui pressent que ses parents, ou d'autres personnes affectivement proches, lui cachent quelque chose (en évitant certains sujets ou en se fâchant lorsque l'enfant pose des questions) ou mentent systématiquement pour embrouiller les pistes, va réagir dans le repli, dans une perte de confiance en lui-même. À l'âge adulte, le même enfant pense toujours que les autres ont raison au détriment de ce qu'il ressent et pressent et est souvent envahi, hanté par des pensées qui ne trouvent aucun fondement puisqu'il ne sait pas d'où cela peut provenir et sans vouloir penser qu'il peut s'agir des effets d'un secret familial.
Pour certaines personnes le secret peut avoir des effets pathologiques psychiques ou physiques. Le silence sur certaines situations non-dites est assimilé au mensonge et fabrique des pensées où l'enfant (et l'adulte plus tard) imagine les choses les plus extravagantes, voire horribles qui ont pu avoir lieu dans la famille et qui touchent ses parents. Le silence crée une chape de plomb dans les relations familiales et certains membres sont plus sensibilisés que d'autres à cette ambiance qui va s'imprégner et s'exporter dans les relations conjugales, amicales, professionnelles, etc.
Je constate fréquemment dans ma pratique que les personnes souffrent de problèmes de communication avec des ramifications qui vont jusqu'à la violence verbale ou physique en lien avec des secrets de famille. Ceux-ci se manifestent aussi dans des somatisations chroniques (maux de ventre, troubles de l'audition, par ex), des cauchemars, et dans toutes les situations de répétitions où l'on a le sentiment de vivre quelque chose qui est à côté de sa vie, de se sentir en quelque sorte manipulé par un destin qui ne leur appartient pas.
L'histoire de Véronique est la suivante :
Elle est la seconde d'une fratrie de 4 enfants dont le dernier est mort à 4 ans d'une leucémie. Toute la famille a été extrêmement affectée de ce décès, mais on en a plus parlé, et Véronique avait 7 ans à la mort de son frère. Ce silence a pesé lourdement à la fois dans la douleur et le chagrin qui ne pouvait pas s'exprimer mais également sur les causes du décès qui ont été cachées aux autres enfants.
On savait que ce petit frère était malade, mais toute la famille a fait croire que ce n'était pas grave et qu'il allait bientôt revenir à la maison. Véronique a attendu qu'il revienne pendant des années et ne pouvait parler à personne dans son entourage des questions qu'elle se posait, ni de son angoisse à ne pas le revoir.
C'est suite à une fausse couche que Véronique eut les symptômes d'une dépression qui s'installait durablement et que la mise en parole de ce deuil non fait a pu la libèrer de ce poids qu'elle portait depuis 32 ans. Sa mère avait 39 ans lorsque son fils est mort et Véronique le même âge au moment de la fausse-couche du 4ème enfant.
L'histoire de Simone est la suivante :
Simone a 58 ans au moment où elle me consulte et elle vient d'être grand-mère pour la 1ère fois d'une petite fille, Sidonie. Simone est profondément angoissée depuis que sa fille est enceinte et cette angoisse ne s'est pas calmée depuis la naissance de Sidonie. Sa fille met de la distance avec elle car ne supporte pas l'angoisse de sa mère.
En dessinant son arbre généalogique, Simone remarque que sa grand-mère, qu'elle n'a pas connue, est morte lorsque sa mère avait quelques mois. Personne ne sait de quoi cette femme est décédée à l'âge de 26 ans, mais ce qui se dit dans la famille c'est "qu'on lui a réglé son compte"... et la conversation s'arrête là, pas un mot de plus. Il a fallu reconstituer le contexte historique de son décès pour que Simone comprenne que cette femme a pu être assassinée à la libération après avoir été tondue.
Simone ayant elle-même été rasée partiellement pour une opération chirurgicale et de nombreuses autres histoires de cheveux dans sa famille ont pu donner du sens à ces angoisses de mort qu'elle ressentait au moment où sa fille devient mère.
Maureen Boigen@tous droits réservés.
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